Textes et critiques
Retour de voyage dans la matière
Abreuvé à l’eau des sources de la Durance, Thierry Ollagnier exprime dans sa démarche plasticienne la mémoire de la géologie de cette part de l’arc alpin. L’homme et les arbres qui l’environnent perçoivent les énergies et les forces qui y sont enfouies. Se jouant des frontières, à proximité des carrières de Carrare, il recrée aussi la puissance de la minéralité des Apennins, épine dorsale de l’Italie, dans la région des Alpes apuanes.
Vu du Thier0glyphe
Que signifie cette forme énigmatique et récurrente dans l’œuvre de Thierry Ollagnier, nommée Le Thier0glyphe ? Sa base surgit de terre, son tronc élancé porte en surface une écriture gravée que surmonte une tête à la ligne épurée. Parfois, un immense bras pointe vers le ciel, parfois l’esquisse d’une aile est fixée à son dos. Quelle que soit la matière, bois, bronze ou papier, le porteur de message, figure hiératique plantée dans la nature, inspirateur secret de l’homme et s’offrant à la lumière, joue le rôle d’index entre l’artiste et le regardeur.
Dessin et gravure
Les xylographies, en taille d’épargne sur un support de bois très encré, sont travaillées en forts contrastes d’ombre et de lumière. La disposition aléatoire des stries horizontales ou verticales gravées sur le papier fait vibrer la mystérieuse rugosité de l’écorce des arbres du jardin.
Dans les Monotypes, estampes à tirage unique passées sous presse, la combinaison de plusieurs encres de couleur sur fond noir se réfère aux incunables. L’évocation des premiers temps de l’imprimerie rend sensible la genèse du travail des Carnets de route où un parcours initiatique des chemins et des racines, des portes à ouvrir, orientent la mémoire de la terre parfumée dont les pierres peuvent être messagères d’un lointain céleste infiniment proche.
Sculpture et Installation
Pensées en dessin, les Installations ont un effet sur l’espace de présentation.
Ainsi en fut-il pour Le Jardin des secrets, ébauché dans Les Carnets de route, proposé au musée départemental de Gap. L’accumulation des Dames Jeannes, objets domestiques en verre de forme sphérique, offre des effets d’optique illusionnistes sur « l’axe du monde ».
Espaces divisés superpose des profondeurs qui évoquent un éventail de choix infinis. Les feuilles de zinc, mémoire de la matrice de la gravure déformée sont modifiées par des bois collés en surface.
Trois assises en bois introduisent Un peu plus loin. Des sacs remplis de copeaux de pin Cembro, essence odoriférante, caractéristique de la forêt alpine, sont accumulés face à des panneaux. Ils sont à décrypter comme des agrandissements d’une vision microscopique des éléments pour imaginer le lien entre l’infiniment petit, la rencontre avec l’atome, la fusion et la nature, évocation du Clinamen , issu du poème philosophique de Lucrèce, De rerum natura, « Mais est-il un œil capable d’apercevoir si les atomes ne se détournent jamais de la ligne droite ? »
Le Thieroglyphe pose pour chaque installation la question de l’homme en marche vers le temps à la recherche de la liberté. Les mains du sculpteur ont plongé dans la matière vivante pour chercher la forme dans l’arbre à travers les univers visible et invisible. L’ébauche du tronc du pin Cembro, rend sensible tout ce que le bois conserve de mémoire et garde de trace. Quand, à partir de la matrice en bois, la sculpture devient bronze, technique issue de l’Antiquité, s’ajoute, alors, la magie de la fusion et le rendu imprévisible de la patine.
Depuis les années 1960, le retour à l’essence du geste créateur par les artistes piémontais Mario Merz ou Giuseppe Penone, a fortement influé sur les pratiques artistiques en interrogeant la nature et l’énergie vitale du matériau. La dendrochronologie a permis de déterminer la discontinuité de la texture du bois due aux facteurs du milieu. L’historien Alain Corbin dans son ouvrage L’Eloge de l’ombre, raconte ceux qui ont su « voir » l’arbre. De ses divers ateliers dont un à ciel ouvert, Thierry Ollagnier nous offre sa relation d’affinité avec la matière quelle qu’elle soit dans des parcours poétiques en constante transformation. Observateur inlassable de la perception mémorielle de l’homme au monde minéral et végétal, il ouvre à des possibles parcelles de bonheur au milieu de ce monde….
Chantal Bouchon
Conservateur honoraire